Un mythe et une histoire en mouvement que les hommes se transmettent, un sujet auquel ils réfléchissent ensemble à travers les générations. Interroger le mythe de Judith c’est d’abord interroger l’histoire. Depuis la Judith biblique, guidée par sa mission divine, modèle de vertu, femme rusée et implacable jusqu’à la Judith d’Howard Barker, humaine déchirée entre devoir et désir, prise dans un mécanisme physique où pulsion de mort et pulsion sexuelle se confondent, la femme Judith se crée, se transforme sur 2000 ans offrant une source inépuisable de matière à théâtre.

Dans cette histoire qui s’ouvre sur une écriture fondatrice de notre civilisation, nous croisons le déchaînement pictural des peintres de la Renaissance qui de Cranach l’Ancien à Caravaggio se saisissent du mythe pour souligner sa violence et sa sensualité. Puis Judith se “ psychologise ” et se “ sexualise ” en entrant en littérature au 19ème siècle. Judith devient une figure ambiguë de la femme traversée de désirs contradictoires. Vierge laïque qui tue pour échapper au désir chez Bernstein ou femme religieuse qui interprète le désir comme une volonté divine et tue l’amant pour se purifier chez Hebbel, Judith se complexifie. Freud la donne comme exemplaire du complexe de castration vécu par la femme à l’encontre de celui qui l’a déflorée. Décapitation et castration. De la figure politique et religieuse Judith devient figure sexuelle. Au 20ème siècle Judith se nihilise. Profondément troublée par son acte, l’héroïne assiste à sa propre transformation en mythe par le peuple qu’elle a sauvé. Chez Giraudoux, chez Fihman-Debièvre (qui place son histoire en Allemagne nazie ) et finalement chez Barker dans Possibilités Judith ne croit plus : transformée par la chair de son amant perdu, elle regarde les hommes construire l’Histoire.

C’est à la télévision et dans la presse écrite que Judith à fait ses plus récentes apparitions . En droite ligne avec le mythe, certains journalistes ont accusé Monica Lewinski d’être une Judith moderne, envoyée supposée du puissant “ lobby juif américain ” contre un Bill Clinton peu conciliant avec Benyamin Nétanyahou.

Et puis, pour d’autres commentateurs de la réalité du monde Judith a changé de camp ce 27 janvier 2002 quand Wafa Idris, palestinienne de 27 ans, a déclenché une bombe dans une rue commerçante de Jérusalem…. Pour terroriser ? Pour résister ? Pour lutter ? Etrange retournement de l’histoire où une femme palestinienne pose un acte extrême pour s’opposer à l’ennemi israélien. Etrange parallèle entre cette Béthulie biblique qu’Holopherne assiège en asséchant les puits, et cette Palestine toujours menacée, toujours inexistante dont les israéliens ont capturé l’eau vitale.




Qu’est-ce que résister ? Qu’est-ce que résister dans l’histoire de la femme ? quel est cet état limite ou l’humain acculé agit, lutte, sacrifie ? Quelle est la valeur de ma vie, de sa vie, au regard de l’histoire, au regard de notre histoire individuelle ?




Judith est une jeune résistante de 2000 ans. C’est son histoire en marche que nous voulons raconter.

Benoit Luporsi