Une démarche
Nous sommes à un moment charnière de notre parcours. Ces dernières années, nous nous sommes attelés d’abord à Howard Barker, éclairant un texte de trois heures dans une forme plutôt classique puis, avec « du talent pour le bonheur » et « Judith », nous nous sommes attaqués à quelque chose de beaucoup plus intuitif et personnel. Ces deux théâtralités bien différentes sont les deux extrêmes auxquels nous devions nous confronter pour élaborer notre vocabulaire propre. Celui-ci émerge, doucement mais sûrement grâce au travail continu de ces six dernières années. "Le viol de Lucrèce " peut être le lieu où ces extrêmes se rencontrent, tout en servant ce que, lors de la création de la compagnie, en 1996, nous donnions comme leitmotiv et qui nous a guidé au long de ces années: "Nous devons parler au corps du spectateur autant qu’à son cerveau. Il faut que le plateau soit le miroir de tout ce qu’il ne peut, n’ose nommer en lui. Nous restons persuadés que la scène le permet : le spectateur peut s’identifier aux personnages, les côtoyer dans tout ce qu’ils ont d’organique, ne faire qu’un avec leur sueur, se retrouver dans leurs envies – aussi violentes et inavouables soient-elles. Et le personnage devient le double sensible du spectateur et celui-ci ressent, comprend intuitivement ce qui se passe sur le plateau. Il partage profondément les envies ( de violence, de sexe, d’amour, de mort…) du personnage et les fait siennes. Jusqu’au dégoût, jusqu’au moment où son intellect n’a plus prise, ne peut plus cautionner ses envies intimes et bestiales. C’est ce moment de rupture entre l’organique et l’intellect du spectateur qui nous intéresse. Le moment où l’identification devient douce et violente à la fois, où le philosophe et la bête se chamaillent en nous sans qu’il n’y ait de victoire possible, ni pour l’un ni pour l’autre. Ce moment est, pour nous, celui du théâtre, celui où l’on parle de l’Homme à l’Homme ”.